Bel exemple de parfums

de dames en littérature

 

"Pour chaque peau de femme il existe un parfum qui exalte son parfum, une note de la gamme qui est tout à la fois couleur saveur odeur douceur, et ainsi le plaisir de passer d’une peau à l’autre peut ne pas avoir de fin. Quand les lustres des salons du faubourg Saint-Honoré éclairaient mon entrée lors de quelque fête de gala, le nuage piquant des parfums venant des décolletés bordés de perles m’emportait, d’un fond moelleux de rose bulgare s’élevaient des élancements de camphre que l’ambre faisait coller aux robes de soie, et je m’inclinais pour baiser la main de la duchesse de Havre-Caumartin en humant le jasmin qui flottait sur sa peau légèrement lymphatique, et j’offrais mon bras à la comtesse de Barbès-Rochechouart qui me capturait dans des effluves de santal où sa carnation ferme et brune semblait enveloppée, et j’aidais la baronne de Mouton-Duvernet à dégager ses épaules d’albâtre d’un manteau de loutre et une bouffée de fuchsia m’envahissait. Mes papilles savaient fort bien donner un visage à ces parfums qu’à présent Madame Odile faisait défiler pour moi en débouchant ses flacons couleur d’opale : encore le soir d’avant au bal masqué de l’Ordre des chevaliers de Saint-Sépulcre je m’étais adonné au même exercice, il n’était pas un nom de noble dame que je ne pus deviner sous les broderies de son loup. Jusqu’à l’instant où elle m’est apparue, elle, un petit masque de satin sur le visage, un voile sur les épaules et le sein à l’andalouse, et en vain je me demandais qui elle était, en vain l’effleurant pendant la danse plus qu’il n’était permis je confrontais mes souvenirs et ce parfum jamais imaginé jusque-là, qui contenait le parfum de son corps comme une huître sa perle. Je ne savais rien d’elle mais j’avais le sentiment de tout savoir à travers ce parfum, et j’aurais souhaité un monde sans noms, dans lequel ce seul parfum aurait suffi pour lui donner un nom et tous les mots qu’elle aurait pu me dire.''

 

- Italo Calvino, Sous le soleil jaguar (recueil de nouvelles), « le nom, le nez ». Folio, 2014, traduction Jean-Paul Manganaro, pp.22-23.